Manon Lescaut,
Abbé Prévost, 1731
Manon Lescaut,
Abbé Prévost, 1731
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Mathématicienne, femme de lettres et physicienne française, Émilie du Châtelet fut une figure majeure du siècle des Lumières. Elle s’intéressa naturellement à la quête du bonheur personnel, et Discours sur le bonheur est un de ses textes les plus importants. Elle y défend l’idée, tout sauf classique, que le bonheur se cultive par la passion, et notamment la passion pour les études – passion pour les études dont pourrait témoigner Des Grieux. Le thème de la gloire, associé à l’étude, se retrouve d’ailleurs dans l’extrait de Manon Lescaut.
Par cette raison d’indépendance, l’amour de l’étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur. Dans l’amour de l’étude se trouve enfermée une passion dont une âme élevée n’est jamais entièrement exempte, celle de la gloire ; il n’y a même que cette manière d’en acquérir pour la moitié du monde, et c’est cette moitié justement à qui l’éducation en ôte les moyens, et en rend le goût impossible. Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d’autres moyens d'arriver à la gloire, et il est sûr que l’ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens, soit par son habileté dans l’art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement, ou les négociations, est fort au-dessus de [celle] qu’on peut se proposer pour l’étude ; mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état. […] J’ai dit que l’amour de l’étude était la passion la plus nécessaire à notre bonheur ; c’est une ressource sûre contre les malheurs, c’est une source de plaisirs inépuisable, et Cicéron a bien raison de dire : Les plaisirs des sens et ceux du cœur sont, sans doute, au-dessus de ceux de l'étude ; il n'est pas nécessaire d’étudier pour être heureux ; mais il l’est peut-être de se sentir en soi cette ressource et cet appui. Émilie du Châtelet, Discours sur le bonheur, 1779